José Attal : La passe, réinventer la psychanalyse à chaque fois


El día 9 de enero del año 2020 un amigo, Jean-François Ferbos, envió a mi correo su transcripción de la intervención que realizó en Buenos aires, Argentina, el muy querido y recordado José Attal. En breve publicaremos la traducción al castellan.

 

José Attal : La passe, réinventer la psychanalyse à chaque fois (transcription).

 

Conférence à Buenos Aires, le samedi 3 novembre 2012




José Attal : La passe, réinventer la psychanalyse à chaque fois.

Conférence à Buenos Aires, le samedi 3 novembre 2012, dans la salle de la librairie Hernández. L’organisation de cette activité était à la charge de Stella Ocampo, Eduardo Bernásconi, Hugo Cardozo, Claudia Weiner et Alberto Sladogna, membres de l’elp.
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D’abord je vous remercie de m’accueillir et je suis désolé de ne pas parler suffisamment l’espagnol pour faire une conférence en espagnol, mais j’ai un bon traducteur parce qu’il a dit qu’il allait me trahir. Alors il faut que je vous dise un mot sur le titre. Le titre c’est « ré-inventer la psychanalyse ». Je dis le titre qui m’est venu mais c’est après discussion avec Alberto. C’est « ré-inventer la psychanalyse ». Quand je dis discuter, en fait, on ne discute jamais avec Alberto Sladogna, jamais ! Voilà ! Bon on se dispute un petit peu et donc on avance. Parce que quand je lui ai dit « ré-inventer », il a dit « mais réinventer est ce que ça ne serait pas comme retour à ? ». Voilà !. Donc sa réflexion était suffisamment importante pour que je garde ce titre pour vous en parler. Je parle trop ?
Le terme ré-inventer, c’est le mot qu’emploie Jacques Lacan, lorsqu’à la fin d’une de ses interventions sur la passe – puisque c’est la passe qui nous réunis hein ! – il dit ceci : « La psychanalyse est intransmissible, c’est bien embêtant qu’il faille que chaque psychanalyste ré-invente la psychanalyse. ». Vous voulez que je répète ? La citation est celle-ci : « La psychanalyse est intransmissible, c’est bien embêtant que chaque psychanalyste soit obligé de ré-inventer la psychanalyse. ». On pourra tout à l’heure parler plus précisément de la non-transmissibilité de la psychanalyse, c’est-à-dire la prise en compte de quelque chose de difficilement acceptable ; c’est qu’une expérience ne peut jamais se transmettre. C’est très difficile à intégrer. Donc je reste à ré-inventer.
Pourquoi ré-inventer ? La réponse c’est que la psychanalyse, elle a déjà été inventée. Donc inventer quelque chose qui a déjà été inventé, c’est une contradiction. Que signifie donc ré-inventer ? Je pense qu’on peut au moins, avant toute discussion, le comprendre comme redonner un peu de vie, un peu de souffle, un peu de perspective, un peu d’ouverture, mais surtout, surtout, un peu de contemporanéité. C’est-à-dire que ré-inventer c’est poser l’actualité même de la chose. On continue ?
Enfin, on ne psychanalyse plus aujourd’hui, disons, comme il y a 20, 30 ans ou du temps de Freud et pourtant on dit toujours psychanalyser. Donc ré-inventer la psychanalyse, c’est important de considérer qu’il faut garder le même terme, qu’il n’y a pas à produire un terme différent parce que c’est le même geste qu’Héraclite. C’est-à-dire que c’est la chose elle-même qui s’appelle toujours pareil mais qui change de sens. Pour la psychanalyse c’est ça pour le titre analyste de l’école, AE. Et bien il se trouve que ce titre même, a changé au moins trois fois de sens chez Lacan et pourtant c’est toujours le même titre AE, analyste de l’école, qui ne veut donc plus dire la même chose. Sur les deux premier titres, les psychanalystes sont à peu près d’accord pour considérer que les deux premiers changements des termes AE, sont recevables. Mais la troisième acception de ce titre, AE, la plupart des psychanalystes ne veulent pas le savoir parce qu’il y a trois versions de la passe. Les deux premières versions sont reconnues, la troisième ne l’est pas du tout. Quand la passe a été créée donc, c’était pour soutenir qu’il y avait une formation du psychanalyste, c’est-à-dire que le psychanalyste était formé et le titre AE était le titre qui venait dire cette formation. C’est-à-dire que le titre AE, c’est comme le titulaire du temps de l’API. Il y avait une formation du psychanalyste. La deuxième proposition de Lacan, après plusieurs débats dont je ne parle pas ici, la deuxième proposition qui s’est faite quelques jours après la première, conclut exactement l’inverse. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de formation du psychanalyste. Dans la première proposition c’était une formation très classique, c’est-à-dire : psychanalyse, contrôle, didactique etc… Dans la deuxième proposition , la passe, au contraire, c’était un temps qu’on pourrait dire (t0), un temps de départ avant toute formation. C’est-à-dire à ce moment la psychanalyse est posée comme ne se supportant pas une formation. Voilà ! Ces deux moment-là sont toujours très actifs dans la psychanalyse. Les gens pensent toujours la passe de la même façon, c’est-à-dire comme un modèle. Il s’agit de rendre compte d’une psychanalyse plus ou moins réussie, de la construire comme un grand récit, une grande histoire qu’on va raconter à des gens. Et donc, il faut être un peu brillant. Il faut donner les preuves qu’on fait partie de la famille des psychanalystes. Voilà. C’est-à-dire que la passe reste encore très attachée à la cure.
Or il se trouve qu’à un moment, Lacan a été amené à formuler, à dire, que la passe ça n’a rien à faire avec l’analyse. Voyez, c’est une parole très forte ! Alors toute la question de ré-inventer la psychanalyse est là.
À partir des années 70 tous les énoncés qui constituent la passe ont été, par Lacan lui-même, révisés, corrigés, abandonnés. Par Lacan lui-même, tout ce qui organise la passe, c’est-à-dire la chaîne signifiante, a été déclaré caduque. C’est en toutes lettres dans le séminaire « Les non-dupes errent ». Il n’y a pas beaucoup de psychanalystes qui acceptent de lire cette phrase qu’ « il n’y a pas de chaine signifiante. ». Parce que la chaîne signifiante c’est ce qui permet de raconter une histoire. Et c’est pour ça que la passe a pris cette allure de récit, de grand récit, d’histoire. Si vous déclarez qu’il n’y a plus de chaîne signifiante, il n’y a plus de récit. C’est la première chose. Vous voyez déjà que la proposition de la passe ne tient plus du tout s’il n’y a pas de chaîne signifiante.
La deuxième chose qu’avance – est-ce que tu peux traduire en espagnol le mot connerie ? – … Bon vous avez compris le mot. Pourquoi je dis ce mot ? Connerie. Parce qu’à propos de la chaîne signifiante, Lacan lui-même, a dit : « Quand j’ai dit ça, j’ai dit une connerie. ». Il rajoute : « il faut faire des conneries pour avancer ». Mais il n’empêche que la chaîne signifiante, en 1973, c’est une connerie. C’est en toutes lettres.
Le deuxième point que Lacan avancera, ça concerne ce qu’on appelle le temps logique. Peut-être que vous connaissez le texte de Lacan ? qui là aussi organise, soutient toute la procédure de la passe. C’est-à-dire qu’il y a trois temps. Un temps pour voir. Un temps pour comprendre. Un temps pour conclure. Ce n’est pas un temps à chaque fois. C’est moi qui dis ça. Oui parce qu’il dit, « un temps », « un moment » et « un instant ». C’est pour vous dire donc que la passe, telle qu’elle était pensée, c’était donc un moment de conclusion. C’était un moment de conclusion d’une analyse, et c’était un moment de conclusion du psychanalyste. C’était le moment où on concluait que quelqu’un était psychanalyste.
1973, Lacan déclare, toujours dans le même séminaire, que quand il a écrit le temps logique, ça a conclu de travers. Il a dit : « ma conclusion était de travers. ». Elle était fausse. C’est-à-dire, vous voyez que rien qu’avec ces deux choses-là, la chaîne signifiante et le temps logique, la proposition sur la passe et toute la passe n’existent plus. Elles n’existent plus. Il faut le lire.
La troisième chose qui vient dans ma démonstration, mais ce n’est pas moi, je l’ai lu simplement dans Lacan, c’est une chose plus difficile à présenter. La formule de la passe c’est : « Le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même » hein !. Je ne fais pas de commentaire de ça. 1973, Lacan déclare que cette formule, « Le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même », c’est une formule accablante, stupide. Il a eu un peu honte d’avoir dit ça comme ça. Et pour amener la correction de cette formule, c’est lui qui parle de correction hein ! Ce n’est pas moi. Il fait une homologie. Alors, homologie, vous savez qu’il y a deux sens ? Homologie ça veut dire une sorte d’équivalence, enfin de rapport et en mathématiques ça veut dire autre chose. En mathématiques c’est la prise en compte d’un mouvement de plusieurs hétérogénéités qu’il faut prendre ensemble. Donc l’homologie est la suivante, à propos de « l’analyste ne s’autorise que de lui-même », il dit « L’être sexué ne s’autorise que de lui-même et de quelques autres. ». Mais l’être sexué hein ! Ce qu’on comprend. Il est difficile de parler de sexuation et de sexualité sans engager au moins une deuxième personne. Avec cette formule et cette homologie, Lacan déclare la deuxième formule. Si je vous dis « Le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même et de quelques autres », vous allez me dire « oui c’est la nouvelle formule de Lacan. Il l’a dite comme ça ». Et pourtant c’est faux ! C’est faux. C’est faux. Lacan n’a jamais dit ça ! Lacan n’a jamais dit ça. C’est-à-dire qu’on a… Je vais dire la formule de Lacan après. Mais vous voyez qu’on est très sensible à la ritournelle. Ritournelle, tu peux traduire ? Voilà, la ritournelle ça permet de ne plus réfléchir. C’est des formules qui marchent toutes seules et le plus souvent elles sont fausses. Le propre de la ritournelle, généralement, c’est d’être faux ! On voit que c’est vrai ! Mais c’est fait pour ne pas aller voir le vrai texte en quelque sorte. C’est construit, la ritournelle, pour empêcher d’aller voir le vrai. Je prends toujours le même exemple, c’est ce qu’on appelle, vous connaissez sûrement, la loi du talion. Si je vous dis quelle est la loi du talion ? Vous allez me dire : « Œil pour œil, dent pour dent. ». Eh bien c’est faux ! La loi du talion n’a jamais, jamais, jamais dit ça ! Quand on dit « œil pour œil, dent pour dent », c’est un principe de sévérité. Alors que la loi du talion c’est un principe de limitation. Elle ne dit pas « Œil pour œil, dent pour dent », mais elle dit exactement, allez voir le texte hébreux, « Pas plus d’un œil pour un œil, pas plus d’une dent pour une dent. ». C’est-à-dire que vous voyez, la ritournelle ! Si vous dites « Œil pour œil, dent pour dent », vous dites exactement le contraire de ce qu’il faudrait dire. Voilà !Une ritournelle ça a cette fonction. Dans la psychanalyse la ritournelle c’est « Le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même et de quelques autres ». Ce qui est faux !
La formule est très subtile, elle est ceci, toujours en 1973 : « Le psychanalyste, tout en ne s’autorisant que de lui-même, il ne peut par-là que s’autoriser d’autres aussi  ». Vous voyez que ça n’a rien à voir avec « le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même et de quelques autres. ».
Voilà ! parce que si on met la conjonction « et », « et de quelques autres », c’est donc une position seconde. Les quelques autres viennent après. Tandis que si on dit « par-là », « par-là il ne peut que... », les « quelques autres » ne sont plus en position seconde. On a affaire avec ce qui s’appelle une implication réciproque. Ça veut dire que les deux propositions de la formule sont en équivalence. Vous voyez comme on est plus du tout dans la passe de 1967. Tout ce qui organisait la proposition est mis par terre par Lacan.
Donc, comment ré-inventer ? Je vais essayer de donner une image. Comment rendre compte des trois registres, Réel, Imaginaire, Symbolique, mais en même temps, comment rendre compte de ça ? Parce que c’est de ça maintenant qu’il s’agit ! Parce qu’il n’y a plus de chaîne signifiante, donc il n’y a plus de prima du symbolique. Il n’y a plus de temps logique parce qu’il faut rendre compte de l’espace et du temps. Mais en même temps, quant à l’imaginaire, il tient avec le deux autres, R et S, exactement au même titre. Voilà ! Si vous dessinez un nœud borroméen, vous faites exactement la même erreur que quand vous récitez une ritournelle. Parce que si vous dessinez un nœud borroméen, ça n’est plus un nœud borroméen. C’est juste une écriture. Donc ça ne rend pas compte des trois consistances en même temps. À partir de 1973, ce que Lacan déclare, c’est que ça n’est plus l’écriture qui est le modèle, comment dire, le plus pertinent. Ça a été une ritournelle de dire que l’interprétation c’est une écriture. Voilà ! Je ne sais pas fais bien comprendre le mouvement qui se passe à ce moment-là de changement complet de la doctrine de Lacan. Absolument complet ! Et qui concerne la passe, parce que ce séminaire de 1973 concerne uniquement la passe, dès la première phrase. Un nœud borroméen, comment dire, actif ! Pas écrit ! Pas dessiné, c’est un diagramme ! Un diagramme, Lacan en parle à propos de ses quatre discours, un diagramme, c’est quelque chose qui permet de saisir en même temps, des hétérogénéités, c’est-à-dire qui sont dans tous les registres en même temps. Mais vous voyez bien qu’à partir de-là il n’y a plus de modèle. C’est-à-dire que ce que le diagramme amène, c’est la mort même du modèle. Dorénavant, nous sommes dans la méta-modélisation, c’est-à-dire quelque chose qui est avant le modèle et qui ne peut en aucun cas… et qui ne peut pas du tout faire modèle. Donc c’est quelque chose qui s’invente à chaque fois, qui s’invente pour chacun, qui ne sert pas à quelqu’un d’autre. C’est exactement ça réinventer.
Alors, vous voulez qu’on discute ou je continue ?
À partir de 1973, donc, si on a en tête que, un même mot, un même nom, se met à dire autre chose, comme Héraclite, qui est une référence absolue à ce moment-là chez Lacan. On voit donc qu’à partir de 1973, ce que Lacan propose, c’est une troisième proposition sur la passe. Mais si on veut être rigoureux, il faut dire ; « C’est la troisième proposition de 1967 », puisqu’il s’agit toujours de la passe réinventée en 1967. C’est pour ça que j’ai avancé le terme de troisième proposition de la passe de 67. Mais si vous admettez avec moi qu’il n’y a plus de modèle, on ne peut plus penser la passe avec le dispositif habituel. Même si on le garde. Même si on garde le dispositif. On peut le garder, on peut en inventer un autre… Si on fait jouer ensemble le procédure de la passe et le dispositif de la passe, qui sont deux choses différentes, si on fait jouer ensemble que le passe ça n’a rien à faire avec la psychanalyse, alors, vous voyez se dessiner une nouvelle figure, qui est une figure de diagramme. Faire jouer ensemble procédure et dispositif, c’est un diagramme. Mais c’est un diagramme, du coup, sans modèle. Il n’y a plus de modèle. Donc chaque analyste produit par la passe, chaque psychanalyste est une production, de même que l’inconscient est une production… Le psychanalyste est là pour produire l’inconscient. L’inconscient n’est pas derrière un rideau qu’il faut écarter pour le voir. L’inconscient se produit, voilà !
Mais si on a en tête le diagramme, la production du psychanalyste, mais sans modèle, on peut penser qu’on aurait une série de psychanalystes absolument différents de leurs aînés. Eh bien, je n’ai pas le temps de le déplier ici, ce point-là, très difficile, est traité par Lacan avec la question de l’art. Lacan traite cette question avec l’art au sens où il avance que le psychanalyste a affaire avec la production psychanalytique comme si c’était une œuvre d’art. Mais qu’est-ce que c’est une œuvre d’art ? Une œuvre d’art ne veut pas en elle-même dire quelque chose. Une œuvre c’est juste le témoignage d’une subjectivité. Donc chaque nouvel analyste sera, en quelque sorte à cette place nouvelle d’une nouvelle subjectivité du psychanalyste. Par cette nouvelle subjectivité il va subvertir la classe, le groupe des autres psychanalystes. C’est écrit en toutes lettres hein ! Je n’invente rien, dans Lacan. En d’autres termes, ce qui est à saisir avec la passe, c’est une mutation. C’est ça ré-inventer. C’est-à-dire que c’est une mutation et donc, je propose de considérer cette passe diagrammatique, avec cette définition ; « La passe serait un foyer de mutations des subjectivités des psychanalystes ». Et vous voyez qu’avec ça il faut repenser complètement ce que c’est un témoignage. Bon je m’arrête là.

(Transcriptions par  Jean-François Ferbos,Jeudi 9 janvier 2020)

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